"Une usure me dévorait"...
- Le Mar 07 mars 2023
"Une usure me dévorait : la fatigue de dire quelque chose que personne ne veut entendre, la fatigue de parler aux sourds, la fatigue de créer des sourds en parlant.
Le seul soulèvement auquel j’appelais était un bouleversement intérieur. Je n’avais aucune ambition pour le monde extérieur, le monde de César, de Pilate, des banquiers, des marchands.
Aucun trône, aucun sceptre, aucune lance ne peut nous purger et nous ouvrir à l’amour vrai. Mon Royaume, chacun le porte en lui, comme un idéal, comme une chimère, une nostalgie ; chacun a en lui l’aspiration intime, le désir doux. Mon Royaume est déjà là. L’élan d’amour palpite, mais on le heurte sans cesse, on le retient, on le déçoit. Je n’ouvre la bouche que pour nous donner le courage d’être nous-mêmes, d’avoir la témérité de l’amour.
Les Galiléens m’écoutaient bouche bée car c’est avec la bouche qu’ils écoutent ; avec les oreilles, ils n’entendent rien. Mes paroles ricochaient de crâne en crâne, sans entrer dans aucun. Ils n’appréciaient que mes miracles./...
Tous ne toléraient mes prédications que par complaisance, comme on avale distraitement un hors-d’œuvre : le plat de résistance demeurait le miracle. J’étais devenu un fonctionnaire de Dieu. L’acte qu’on venait me réclamer, après des queues qui duraient plusieurs heures, mon sceau, mon tampon, c’était l’exécution de quelque petit prodige. Ils repartaient alors, spectateurs en bonne santé ou malades guéris. Sans retenir une seule idée de mes discours, ils avaient simplement trouvé un intercesseur très pratique, à portée de main, qui allait leur simplifier la vie."
Les mots du Yeshua de Eric-Emmanuel Schmitt dans L'Evangile selon Pilate